Sandra Barré

critique d'art • commissaire • chercheuse art olfactif et non-visualités

"Steel Life"

La production plastique de Carla Barkatz met en lumière notre rapport sensible au travail par la réutilisation de symboles et de signes affiliés à l’espace social en modelant, notamment, toute une panoplie d’objets référant à des emplois couramment désignés comme populaires : bonbonnes, vinaigriers, serpillères, sacs, éponges, seaux, gobelets trayeurs… Majoritairement par la céramique, l’artiste envisage la porosité : aussi bien comme illustration des marques, des tâches et des hématomes qui parsèment les corps invisibles des ouvriers et ouvrières à qui elle fait référence, que comme métaphore de l’omniprésence des professions qui nous sont obligées, professions à qui, souvent, nous nous identifions corps et âme.

C’est en observant son père, qui façonne le métal, qu’est née l’installation Steel life, et particulièrement en étudiant l’histoire du gant, l’une des origines de la professionnalisation du métier de parfumeur. À la fois objet de coquetterie parfumée et peau protectrice, il garde les effluves des matériaux manipulés et les diffuse dans les chairs. Ce mélange d’odeur est devenu celle, caractéristique, du père de Carla Barkatz. Une odeur métallique qui a donné son titre à l’œuvre, faisant directement référence au genre de la nature morte, appelée still life en anglais, « encore vivant » clin d’œil ici à ce qui persiste, à la résistance d’un souvenir olfactif qui désigne l’être tout entier. Dans cette œuvre, l’artiste joue sur la sonorité du mot et fait appel au métal : steel. Représentation d’un sillage désignant les travailleurs et travailleuses endommagés par la pénibilité de leurs ouvrages, mais qui continuent leurs labeurs, cette persistance est appuyée par l’idée de l'ouvrage en train de se faire, qui se déploie dans la structure de l’installation. Il semblerait qu’elle soit sur le point d’être activée, comme si chaque gant de cette collection pouvait être saisi et revêtu, prêt à absorber l’odeur presque acide que l’on pourrait retrouver sur les doigts ayant manipulé l’acier de la structure. Promesse d’une résistance olfactive froide qui raconte l’invisible de l’identification à un travail, Steel life manifeste pourtant une double incarnation : celle d’un métallurgiste et d’un père.


Marie de Gaujelac 

Commissaire d'exposition Construire sa prétendue, centre d'art contemporain de la Villa Arson 

"Construire sa prétendue" 

Les objets personnifiés de Carla Barkatz révèlent la fragilité des corps précaires qui portent en eux les traces du travail acharné, le stigmate de l’effort et les marques de l’épuisement. Ces objets qui paraissent ordinaires témoignent en réalité d’une pratique du soin destinée à dépasser leur simple valeur objectale. Le travail du matériau devient un ouvrage du corps tout entier où les réactions de la matière se confondent avec l’extrême perméabilité du corps humain à son environnement de travail et ses contraintes. Ces morphologies humaines, tantôt aigries par les produits qui la pénètrent, tantôt échouées sur le sol, révèlent l’inévitable vulnérabilité des corps, générée par le travail et témoignent de la nécessité d’introduire une éthique du care dans notre quotidien.


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